Le permis à points et la lettre recommandée, par Rémy Josseaume, Docteur en droit
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Un récent avis du Conseil d’Etat du 18 septembre 2009 à propos d’une invalidation du permis de conduire notifiée à une ancienne adresse (dossier 327027) va désormais imposer à l’administration française la mise à jour de son fichier national du permis de conduire, en particulier l’exactitude des adresses des permis de conduire.
Le permis à points, dont tous les spécialistes de la matière reconnaissent la fragilité juridique, est malmené depuis 1989 en raison notamment du rejet en son temps d’un amendement législatif.
1. La notification de la perte de point et le perpétuel délai de recours
Le choix du législateur de porter à la connaissance du contrevenant au Code de la route l’effectivité d’un retrait de points par lettre simple demeure sans doute l’un des failles procédurales du permis à points.
L’absence de preuve de réception de la décision laisse au contrevenant des délais de contestation constamment ouverts.
Plus rapide et moins onéreuse, la lettre simple a été évidemment préférée à lettre recommandée (JO/AN, première séance du 11 mai 1989, p. 784).
En procédant par une notification du retrait effectif des points à l’aide d’une lettre simple, l’administration du Ministère de l’Intérieur s’est privée de la possibilité de prouver sans difficulté que la lettre de retrait de point a bien été reçue par son destinataire, ou même, qu’elle lui a été bien envoyée.
Or, il est admis en droit qu’un acte dont l’administration ne peut prouver la notification n’est pas opposable à la personne intéressée.
Cette observation est toutefois de portée limitée puisque pour autant la décision n’est pas dépourvue de validité.
Mais à défaut d’être opposable, la décision qui fait grief au contrevenant peut être contestée à tout moment et n’importe quand par l’intéressé.
Autrement dit, la notification par laquelle l’existence et le contenu d’une décision individuelle est portée à la connaissance de son destinataire a pour seul effet d’ouvrir les délais de recours.
Celui-ci ne peut courir qu’à compter d’une notification certaine.
La loi du 17 juillet 1978 précise en son article 8 que « sauf disposition prévoyant une décision implicite de rejet ou un accord tacite, toute décision individuelle prise au nom de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme, fût-il de droit privé, chargé de la gestion d’un service public, n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette décision lui a été préalablement notifiée ».
Le contrevenant peut, de bonne ou mauvaise foi, affirmer qu’il n’a reçu aucune lettre.
Sur ce point, le recours à une lettre simple pour aviser un administré de la perte d’un droit a été très justement qualifié de « bizarrerie textuelle » par Valérie PECRESSE, commissaire du gouvernement (Conclusions du Commissaire du Gouvernement V. PECRESSE, AJDA 1997, p. 800).
En pratique, la notification du retrait de points au contrevenant par le Fichier National du Permis de Conduire (F.N.P.C.), intervient tardivement après que l’infraction ait été définitivement établie (par le paiement de l’amende, par l’émission (légale) d’un titre exécutoire, l’exécution d’une composition pénale, ou d’une décision devenue définitive)
Il n’est pas rare que des retraits de points interviennent plus de deux ans après la commission de l’infraction. Parfois même, ils ne le sont jamais.
Il est difficile pour l’usager de la route d’avoir une connaissance précise de son capital point à un instant précis et de le gérer à bon escient dans le temps. On relève d’ailleurs en pratique que des points ne sont jamais retirés, ou en cas d’infractions dispersées dans le temps, n’interviennent pas de façon chronologique
Le Conseil d’Etat a posé comme principe que la notification d’une décision n’est pas une condition de légalité de la décision mais d’opposabilité (CE 26 juin 1991, NASSOGNE).
Si le nombre de points affectés au permis de conduire est réduit de plein droit lorsqu’est établie la réalité de l’infraction donnant lieu au retrait de points, il résulte de la combinaison de ces mêmes dispositions et de celles de l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978 que la décision constatant la perte de points, ne lui est opposable qu’à compter de la date à laquelle cette notification lui est parvenue (CE Avis FETY, 20 juin 1997, n° 185323, 185324, 185325, 185326. Le Conseil d’Etat rappelle que la date de délivrance par le préposé du service postal de l’avis d’instance prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste est la date de notification de la décision à l’administré (CE 2 juillet 2007, requête 303498).
La durée du délai de notification d’une décision de retrait de points de permis de conduire est sans effet sur la légalité de celle-ci.
Le comportement du requérant peut faciliter la démonstration de la notification de la perte de points, dont il revendique ne pas avoir été informé.
Ainsi son argumentation sera écartée s’il a envoyé un courrier de contestation aux services du Ministère de l’Intérieur ou s’il s’inscrit à un stage de sensibilisation aux risques de la route.
Poursuivi pour refus de restitution de son permis de conduire invalidé par la perte totale des points, un prévenu a soutenu avoir été privé de la possibilité d’obtenir, en se soumettant à une formation spécifique, la reconstitution partielle du nombre de points initial.
La Cour a rejeté l’argumentation en relevant qu’il avait été informé du nombre de points déjà perdus puisqu’il avait entrepris un stage de reconstitution (Cass.crim., 17 septembre 2003, JPA 2004, p.147).
La preuve que l’intéressé a eu connaissance de la mesure le concernant peut résulter des constatations souveraines des juges (Cass.crim., 29 juin 1977, Bull.crim. n° 250 p. 630, dans l’espèce, il était rapporté que les agents des forces de l’ordre avaient averti à plusieurs reprises des membres de sa famille pour que le prévenu se présente à la gendarmerie pour rendre son permis suspendu ; dans ce sens, Cass.crim., 17 mai 1990, Bull.crim. 1990 n° 201 p. 514, dans l’espèce, l’arrêt attaqué retenait que le prévenu poursuivi pour le délit de refus de restitution de son permis de conduire suspendu, arguant ne pas s’être vu notifié préalablement l’arrêté préfectoral lui permettant d’en vérifier la motivation et d’en contester la légalité devant la juridiction administrative, a eu connaissance de cette mesure puisqu’il a reçu plusieurs convocations, dont l’une en mains propres, mentionnant la date de la décision, l’autorité qui l’avait prononcée, la nature de la sanction, le lieu et la date des infractions. Dans le même sens, Cass.Crim 27 juin 1990 : la notification verbale et non contestée vaut notification au sens de l’article L.224-16 (anciennement L.19) ; Cass.crim., 22 mai 1991, censurant la Cour d’appel d’Orléans qui avait énoncé que l’infraction de refus de restituer son permis de conduire suspendu n’est constituée que si le prévenu a reçu au préalable notification de la mesure de suspension ou d’annulation de son permis de conduire, ajoute que cette notification implique nécessairement la remise à l’intéressé d’une copie de la décision, et ceci notamment pour lui permettre éventuellement d’exercer un recours ; qu’en l’espèce, il n’est pas établi que le prévenu ait eu connaissance de la décision administrative autrement que par des explications données oralement par d les services de gendarmerie).
En tout état de cause, il est de jurisprudence constante des tribunaux administratifs que si le requérant qui soutient n’avoir pas reçu notification des décisions ministérielles de retrait de points et l’administration ne rapportant pas la preuve qui lui incombe d’une telle notification, en conséquence, ces décisions ne pouvant être regardées comme opposables à l’intéressé, et l’administration ne peut légalement décider que son permis n’était plus valable par suite de la réduction à zéro de son capital de points et lui enjoindre de restituer ce titre.
2. Les lettres recommandées 48M et 48SI
Intégrant le risque juridique d’une décision individuelle défavorable qui ne peut être opposable sans notification ou dont la contestation n’est pas limitée dans le temps, l’administration a dû recourir à la technique de la lettre recommandée pour faire courir les délais de recours contentieux. Elle s’est engagée dans cette voie depuis la circulaire NOR INT D 01 00116 C du 6 avril 2001 par laquelle le Ministre de l’Intérieur prend acte (après l’avis FETY du Conseil d’Etat du 20 juin 1997, précité), qu’une lettre simple ne fait pas courir de délai de recours contentieux.
Elle prescrit à ses services, au moment où le total des retraits partiels successifs a ramené à zéro le capital de points, de notifier la récapitulation des retraits de points successifs en même temps qu’il est enjoint au contrevenant par lettre recommandée de restituer son permis de conduire
Elle notifie par lettre recommandée AR la décision d’invalidation du permis de conduire (48SI).
Depuis le décret du 9 mai 2007 relatif au permis de conduire et modifiant le Code de la route (J.O. du 10 mai 2007), si le retrait de points aboutit à un solde de six points affectés au permis de conduire, l’auteur de l’infraction est informé par le Ministre de l’intérieur par lettre recommandée sans AR du nombre de points retirés (imprimé 48 M). En outre, cette notification informe le contrevenant de la faculté de consulter sur le site Internet du Ministère le solde de ses points de permis de conduire.
Cet imprimé comporte en outre les informations nécessaires permettant à l’usager de s’inscrire à un stage de sensibilisation pour récupérer des points de permis de conduire.
Pour autant, l’administration n’a pas complètement écarté le risque juridique de la notification de la lettre 48M, car si elle peut prouver l’envoi, elle ne pourra prouver la réception du courrier par l’administré.
Depuis le décret du 9 mai 2007 les imprimés 48S (portant notification récapitulative de la perte des points et invalidation du permis de conduire) et 49 (portant injonction de restitution du permis de conduire) ont fusionnés, à compter du 1er janvier 2008, et deviennent un formulaire unique 48SI.
L’invalidité du permis de conduire est automatique lorsque le solde de points est devenu nul. Aucune autorité judiciaire ne prononce cette déchéance. Elle est constatée automatiquement par l’administration.
Le formulaire administratif utilisé par l’administration informant le contrevenant de l’invalidité de son permis de conduire, a subi plusieurs transformations rédactionnelles.
La jurisprudence a imposé que cette décision individuelle défavorable soit motivée en fait comme en droit (l’obligation de motivation des actes administratifs portant décisions individuelles défavorables est prévue par la loi du 11 juillet 1979).
Dans un premier temps, les services du F.N.P.C. ne faisaient état d’aucun apurement progressif des points du permis de conduire du contrevenant.
Ils se contentaient de déclarer invalide le permis de conduire sans autre motif.
La jurisprudence a censuré ces décisions non motivées et dépourvues de toute référence aux décisions de retrait de points antérieurs.
Selon la jurisprudence, l’administration ne pouvait pas se contenter de mentionner que la dernière infraction (TA Nantes, 6 décembre 1996, DUBUQUOI, Pet. Aff., 15 janvier 1997, p.18 ; Cass.crim., 26 juin 1996, Bull.crim., n°277 ; Cass.crim., 12 mars 1997, JPA 1997, p.277 ; Cass.crim., 21 janvier 1998, JPA, 1998, p.29 ; Cass.crim., 14 décembre 1999, JPA 2000, p.68.). Cette formalité d’envoi fut enrichie des retraits de points successifs qui devinrent ainsi opposables in fine au contrevenant. Dans ces conditions, la personne est informée de manière certaine des retraits successifs de points contre lesquels elle est en droit d’exercer un recours.
Dès réception de l’imprimé, le contrevenant n’est plus autorisé à conduire.
Un contentieux est né de la contestation d’une décision finale et récapitulative de la perte de points du permis de conduire.
Des usagers prétextaient ne pas avoir été destinataire des imprimés 48, envoyés par lettre simple, leur notifiant la perte de points effective de leur permis de conduire.
Le Conseil d’Etat n’a pas accueilli l’argumentation.
Il estime que « l’envoi des imprimés 48 ne fait pas obstacle à ce que l’administration reprenne légalement la ou les mêmes décisions de retrait de points en un seul acte notifié par lettre recommandé » (CE Avis BOULAY du 28 juillet 2000, n°220301).
Ce dernier est l’acte d’invalidation du permis de conduire pour solde de points nul et devient l’acte récapitulatif de l’ensemble des pertes de points du contrevenant.
Ces décisions de retraits de points acquièrent un caractère d’opposabilité à l’encontre de l’intéressé.
D’après les dispositions du Code de la route lorsque le contrevenant est informé par le Ministre de l’intérieur de la perte totale des points affectés au permis de conduire, l’autorité compétente avait compétence liée, pour ne pas dire « ligotée » (expression empruntée à G. BRAIBANT, Le Droit Administratif Français, Dalloz, 3ème éd. 1992, p.229), pour enjoindre à ce dernier de restituer son titre de conduite.
Cela ne faisait pas obstacle à ce que, à l’appui de sa demande dirigée contre l’arrêté préfectoral, l’intéressé puisse invoquer, dans les délais, l’illégalité de la décision du Ministre (CE 9 avril 1986, FAUGEROUX, p. 346 AJ. 1986, p. 500 note D. CHABANOL, LPA 10 novembre 1986, p. 13, note B. PACTERU, Dr. Adm. Gén., 9ème éd., Montchr. 1995, tome 1, p. 933).
La jurisprudence n’exigeait pas pour cet acte une motivation aussi complète que la décision d’invalidation du permis de conduire du contrevenant (Cass.crim., 12 mars 1997, JPA 1997, p.277).
Cette solution était raisonnable puisque l’injonction de restitution du permis de conduire intervenait après réception par le contrevenant d’un courrier récapitulatif portant notification d’invalidation de son permis de conduire.
L’usager a été notifié de toutes les infractions commises ayant concourues au solde de points nul avant de recevoir l’injonction préfectorale.
Rappelons que le système du permis à points a été construit sur le concept d’un accompagnement pédagogique et de responsabilisation du contrevenant.
Comment peut-on prétendre atteindre cet objectif si la sanction du retrait de points n’intervient pas suite à une notification régulière ou qu’après plusieurs années ?
Dans un souci de simplification administrative et de meilleure compréhension du dispositif par les usagers, une seule lettre recommandée est désormais adressée aux conducteurs dont le permis a été invalidé.
3. Le sort des lettres RAR « non réclamées »
En pareille situation, lorsque le contrevenant s’abstient, volontairement ou non, de retirer le pli recommandé au bureau de poste dans les 15 jours suivant sa présentation, la jurisprudence considère que la notification est réputée effective.
Cette effectivité relève du refus de l’intéressé de le recevoir (CE 6 février 1983, CHASSAGNES ; Cass.crim., 8 octobre 1985, JPA 1986, p.103 ; Cass.crim., 17 novembre 1986, JPA 1987, p.235.), ou encore du fait qu’il ait communiqué des coordonnées personnelles obsolètes lors de l’établissement du procès verbal (CE 16 avril 1975, FAOTTO ).
En cas de refus d’un contrevenant de se voir notifier la décision administrative, les services de police doivent établir un procès verbal relatant les faits constatés (Circ. NOR INT D9100035C du 18 février 1991).
En cas de poursuites pénales (conduite malgré l’invalidation du permis de conduire), il appartiendra au Ministère Public de prouver que la notification a été exécutée, peu importe sa forme (TC Rennes, 25 avril 1984, JPA 1985, p.15).
Si le nombre de points affectés au permis de conduire est réduit de plein droit lorsqu’est établie la réalité de l’infraction donnant lieu au retrait de points, il résulte de la combinaison de ces mêmes dispositions et de celles de l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978 que la décision constatant la perte de points, ne lui est opposable qu’à compter de la date à laquelle cette notification lui est parvenue.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’en cas de non retrait du courrier à la Poste, la date de délivrance par le préposé du service postal de l’avis d’instance prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste est la date de notification de la décision à l’administré (CAA Paris, 16 mars 2006, JPA 2006, p.392 ; CE 2 juillet 2007, requête 303498).
En cas de retrait du courrier à la Poste, la date de notification au contrevenant demeure celle du jour de retrait du pli en poste même si celui-ci a en été avisé par l’avis d’instance préalablement.
4. Le sort des lettres RAR « n’habite pas à l’adresse indiquée » NPAI
Quid de la notification d’un retrait de point ou d’une décision d’invalidation du permis de conduire faite à une ancienne adresse du contrevenant, lorsque ce dernier n’a pas effectué auprès de l’administration les démarches d’information relatives à son changement d’adresse et contribué à laissé ainsi perdurer des informations obsolètes dans le fichier national du permis de conduire ?
D’aucuns pourront s’interroger sur les pratiques de l’administration qui disposant de nombreux fichiers (permis de conduire, carte grise, déclaration fiscale) n’entreprend pas les diligences suffisantes pour s’assurer de l’actualisation des informations dont elle dispose.
Le Conseil d’Etat vient de répondre à cette question préjudicielle dont elle était saisie par le juge administratif de Lille (avis du 18 septembre 2009 – n°327027) en excluant le titulaire du permis de conduire du champs de l’obligation faite et imposée à tout administré comme tout justiciable, de faire connaître à l’administration ou au greffe de la juridiction son changement d’adresse (CE, LAURENT, 18 mars 2005, requête 25040 ; CE 24 octobre 2005 MOULINES, AJDA 2005, 2365).
Ainsi, la Haute Cour constate « qu’aucun principe général du droit ni aucune disposition législative n’obligeant le titulaire d’un permis de conduire à déclarer à l’administration sa nouvelle adresse en cas de changement de domicile, la présentation à une adresse où il ne réside plus du pli notifiant une décision d’annulation de son permis et prise à l’initiative de l’administration ne fait pas courir le délai de recours contentieux ».
En d’autres termes, l’administré n’a pas à faire connaître à l’administration son changement d’adresse, sauf en vertu de l’article R.322-7 du Code de la route (pour le fichier des cartes grises).
Enfin, le Conseil d’État considère que cette dernière obligation pour le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule de déclarer à la préfecture son changement de domicile dans le délai d’un mois est sans incidence sur la question relative à l’obligation d’information de l’administration en cas de changement de domicile pour le permis de conduire.
Par Rémy JOSSEAUME
Docteur en Droit
www.droitroutier.fr
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Un récent avis du Conseil d’Etat du 18 septembre 2009 à propos d’une invalidation du permis de conduire notifiée à une ancienne adresse (dossier 327027) va désormais imposer à l’administration française la mise à jour de son fichier national du permis de conduire, en particulier l’exactitude des adresses des permis de conduire.
Le permis à points, dont tous les spécialistes de la matière reconnaissent la fragilité juridique, est malmené depuis 1989 en raison notamment du rejet en son temps d’un amendement législatif.
1. La notification de la perte de point et le perpétuel délai de recours
Le choix du législateur de porter à la connaissance du contrevenant au Code de la route l’effectivité d’un retrait de points par lettre simple demeure sans doute l’un des failles procédurales du permis à points.
L’absence de preuve de réception de la décision laisse au contrevenant des délais de contestation constamment ouverts.
Plus rapide et moins onéreuse, la lettre simple a été évidemment préférée à lettre recommandée (JO/AN, première séance du 11 mai 1989, p. 784).
En procédant par une notification du retrait effectif des points à l’aide d’une lettre simple, l’administration du Ministère de l’Intérieur s’est privée de la possibilité de prouver sans difficulté que la lettre de retrait de point a bien été reçue par son destinataire, ou même, qu’elle lui a été bien envoyée.
Or, il est admis en droit qu’un acte dont l’administration ne peut prouver la notification n’est pas opposable à la personne intéressée.
Cette observation est toutefois de portée limitée puisque pour autant la décision n’est pas dépourvue de validité.
Mais à défaut d’être opposable, la décision qui fait grief au contrevenant peut être contestée à tout moment et n’importe quand par l’intéressé.
Autrement dit, la notification par laquelle l’existence et le contenu d’une décision individuelle est portée à la connaissance de son destinataire a pour seul effet d’ouvrir les délais de recours.
Celui-ci ne peut courir qu’à compter d’une notification certaine.
La loi du 17 juillet 1978 précise en son article 8 que « sauf disposition prévoyant une décision implicite de rejet ou un accord tacite, toute décision individuelle prise au nom de l’Etat, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme, fût-il de droit privé, chargé de la gestion d’un service public, n’est opposable à la personne qui en fait l’objet que si cette décision lui a été préalablement notifiée ».
Le contrevenant peut, de bonne ou mauvaise foi, affirmer qu’il n’a reçu aucune lettre.
Sur ce point, le recours à une lettre simple pour aviser un administré de la perte d’un droit a été très justement qualifié de « bizarrerie textuelle » par Valérie PECRESSE, commissaire du gouvernement (Conclusions du Commissaire du Gouvernement V. PECRESSE, AJDA 1997, p. 800).
En pratique, la notification du retrait de points au contrevenant par le Fichier National du Permis de Conduire (F.N.P.C.), intervient tardivement après que l’infraction ait été définitivement établie (par le paiement de l’amende, par l’émission (légale) d’un titre exécutoire, l’exécution d’une composition pénale, ou d’une décision devenue définitive)
Il n’est pas rare que des retraits de points interviennent plus de deux ans après la commission de l’infraction. Parfois même, ils ne le sont jamais.
Il est difficile pour l’usager de la route d’avoir une connaissance précise de son capital point à un instant précis et de le gérer à bon escient dans le temps. On relève d’ailleurs en pratique que des points ne sont jamais retirés, ou en cas d’infractions dispersées dans le temps, n’interviennent pas de façon chronologique
Le Conseil d’Etat a posé comme principe que la notification d’une décision n’est pas une condition de légalité de la décision mais d’opposabilité (CE 26 juin 1991, NASSOGNE).
Si le nombre de points affectés au permis de conduire est réduit de plein droit lorsqu’est établie la réalité de l’infraction donnant lieu au retrait de points, il résulte de la combinaison de ces mêmes dispositions et de celles de l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978 que la décision constatant la perte de points, ne lui est opposable qu’à compter de la date à laquelle cette notification lui est parvenue (CE Avis FETY, 20 juin 1997, n° 185323, 185324, 185325, 185326. Le Conseil d’Etat rappelle que la date de délivrance par le préposé du service postal de l’avis d’instance prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste est la date de notification de la décision à l’administré (CE 2 juillet 2007, requête 303498).
La durée du délai de notification d’une décision de retrait de points de permis de conduire est sans effet sur la légalité de celle-ci.
Le comportement du requérant peut faciliter la démonstration de la notification de la perte de points, dont il revendique ne pas avoir été informé.
Ainsi son argumentation sera écartée s’il a envoyé un courrier de contestation aux services du Ministère de l’Intérieur ou s’il s’inscrit à un stage de sensibilisation aux risques de la route.
Poursuivi pour refus de restitution de son permis de conduire invalidé par la perte totale des points, un prévenu a soutenu avoir été privé de la possibilité d’obtenir, en se soumettant à une formation spécifique, la reconstitution partielle du nombre de points initial.
La Cour a rejeté l’argumentation en relevant qu’il avait été informé du nombre de points déjà perdus puisqu’il avait entrepris un stage de reconstitution (Cass.crim., 17 septembre 2003, JPA 2004, p.147).
La preuve que l’intéressé a eu connaissance de la mesure le concernant peut résulter des constatations souveraines des juges (Cass.crim., 29 juin 1977, Bull.crim. n° 250 p. 630, dans l’espèce, il était rapporté que les agents des forces de l’ordre avaient averti à plusieurs reprises des membres de sa famille pour que le prévenu se présente à la gendarmerie pour rendre son permis suspendu ; dans ce sens, Cass.crim., 17 mai 1990, Bull.crim. 1990 n° 201 p. 514, dans l’espèce, l’arrêt attaqué retenait que le prévenu poursuivi pour le délit de refus de restitution de son permis de conduire suspendu, arguant ne pas s’être vu notifié préalablement l’arrêté préfectoral lui permettant d’en vérifier la motivation et d’en contester la légalité devant la juridiction administrative, a eu connaissance de cette mesure puisqu’il a reçu plusieurs convocations, dont l’une en mains propres, mentionnant la date de la décision, l’autorité qui l’avait prononcée, la nature de la sanction, le lieu et la date des infractions. Dans le même sens, Cass.Crim 27 juin 1990 : la notification verbale et non contestée vaut notification au sens de l’article L.224-16 (anciennement L.19) ; Cass.crim., 22 mai 1991, censurant la Cour d’appel d’Orléans qui avait énoncé que l’infraction de refus de restituer son permis de conduire suspendu n’est constituée que si le prévenu a reçu au préalable notification de la mesure de suspension ou d’annulation de son permis de conduire, ajoute que cette notification implique nécessairement la remise à l’intéressé d’une copie de la décision, et ceci notamment pour lui permettre éventuellement d’exercer un recours ; qu’en l’espèce, il n’est pas établi que le prévenu ait eu connaissance de la décision administrative autrement que par des explications données oralement par d les services de gendarmerie).
En tout état de cause, il est de jurisprudence constante des tribunaux administratifs que si le requérant qui soutient n’avoir pas reçu notification des décisions ministérielles de retrait de points et l’administration ne rapportant pas la preuve qui lui incombe d’une telle notification, en conséquence, ces décisions ne pouvant être regardées comme opposables à l’intéressé, et l’administration ne peut légalement décider que son permis n’était plus valable par suite de la réduction à zéro de son capital de points et lui enjoindre de restituer ce titre.
2. Les lettres recommandées 48M et 48SI
Intégrant le risque juridique d’une décision individuelle défavorable qui ne peut être opposable sans notification ou dont la contestation n’est pas limitée dans le temps, l’administration a dû recourir à la technique de la lettre recommandée pour faire courir les délais de recours contentieux. Elle s’est engagée dans cette voie depuis la circulaire NOR INT D 01 00116 C du 6 avril 2001 par laquelle le Ministre de l’Intérieur prend acte (après l’avis FETY du Conseil d’Etat du 20 juin 1997, précité), qu’une lettre simple ne fait pas courir de délai de recours contentieux.
Elle prescrit à ses services, au moment où le total des retraits partiels successifs a ramené à zéro le capital de points, de notifier la récapitulation des retraits de points successifs en même temps qu’il est enjoint au contrevenant par lettre recommandée de restituer son permis de conduire
Elle notifie par lettre recommandée AR la décision d’invalidation du permis de conduire (48SI).
Depuis le décret du 9 mai 2007 relatif au permis de conduire et modifiant le Code de la route (J.O. du 10 mai 2007), si le retrait de points aboutit à un solde de six points affectés au permis de conduire, l’auteur de l’infraction est informé par le Ministre de l’intérieur par lettre recommandée sans AR du nombre de points retirés (imprimé 48 M). En outre, cette notification informe le contrevenant de la faculté de consulter sur le site Internet du Ministère le solde de ses points de permis de conduire.
Cet imprimé comporte en outre les informations nécessaires permettant à l’usager de s’inscrire à un stage de sensibilisation pour récupérer des points de permis de conduire.
Pour autant, l’administration n’a pas complètement écarté le risque juridique de la notification de la lettre 48M, car si elle peut prouver l’envoi, elle ne pourra prouver la réception du courrier par l’administré.
Depuis le décret du 9 mai 2007 les imprimés 48S (portant notification récapitulative de la perte des points et invalidation du permis de conduire) et 49 (portant injonction de restitution du permis de conduire) ont fusionnés, à compter du 1er janvier 2008, et deviennent un formulaire unique 48SI.
L’invalidité du permis de conduire est automatique lorsque le solde de points est devenu nul. Aucune autorité judiciaire ne prononce cette déchéance. Elle est constatée automatiquement par l’administration.
Le formulaire administratif utilisé par l’administration informant le contrevenant de l’invalidité de son permis de conduire, a subi plusieurs transformations rédactionnelles.
La jurisprudence a imposé que cette décision individuelle défavorable soit motivée en fait comme en droit (l’obligation de motivation des actes administratifs portant décisions individuelles défavorables est prévue par la loi du 11 juillet 1979).
Dans un premier temps, les services du F.N.P.C. ne faisaient état d’aucun apurement progressif des points du permis de conduire du contrevenant.
Ils se contentaient de déclarer invalide le permis de conduire sans autre motif.
La jurisprudence a censuré ces décisions non motivées et dépourvues de toute référence aux décisions de retrait de points antérieurs.
Selon la jurisprudence, l’administration ne pouvait pas se contenter de mentionner que la dernière infraction (TA Nantes, 6 décembre 1996, DUBUQUOI, Pet. Aff., 15 janvier 1997, p.18 ; Cass.crim., 26 juin 1996, Bull.crim., n°277 ; Cass.crim., 12 mars 1997, JPA 1997, p.277 ; Cass.crim., 21 janvier 1998, JPA, 1998, p.29 ; Cass.crim., 14 décembre 1999, JPA 2000, p.68.). Cette formalité d’envoi fut enrichie des retraits de points successifs qui devinrent ainsi opposables in fine au contrevenant. Dans ces conditions, la personne est informée de manière certaine des retraits successifs de points contre lesquels elle est en droit d’exercer un recours.
Dès réception de l’imprimé, le contrevenant n’est plus autorisé à conduire.
Un contentieux est né de la contestation d’une décision finale et récapitulative de la perte de points du permis de conduire.
Des usagers prétextaient ne pas avoir été destinataire des imprimés 48, envoyés par lettre simple, leur notifiant la perte de points effective de leur permis de conduire.
Le Conseil d’Etat n’a pas accueilli l’argumentation.
Il estime que « l’envoi des imprimés 48 ne fait pas obstacle à ce que l’administration reprenne légalement la ou les mêmes décisions de retrait de points en un seul acte notifié par lettre recommandé » (CE Avis BOULAY du 28 juillet 2000, n°220301).
Ce dernier est l’acte d’invalidation du permis de conduire pour solde de points nul et devient l’acte récapitulatif de l’ensemble des pertes de points du contrevenant.
Ces décisions de retraits de points acquièrent un caractère d’opposabilité à l’encontre de l’intéressé.
D’après les dispositions du Code de la route lorsque le contrevenant est informé par le Ministre de l’intérieur de la perte totale des points affectés au permis de conduire, l’autorité compétente avait compétence liée, pour ne pas dire « ligotée » (expression empruntée à G. BRAIBANT, Le Droit Administratif Français, Dalloz, 3ème éd. 1992, p.229), pour enjoindre à ce dernier de restituer son titre de conduite.
Cela ne faisait pas obstacle à ce que, à l’appui de sa demande dirigée contre l’arrêté préfectoral, l’intéressé puisse invoquer, dans les délais, l’illégalité de la décision du Ministre (CE 9 avril 1986, FAUGEROUX, p. 346 AJ. 1986, p. 500 note D. CHABANOL, LPA 10 novembre 1986, p. 13, note B. PACTERU, Dr. Adm. Gén., 9ème éd., Montchr. 1995, tome 1, p. 933).
La jurisprudence n’exigeait pas pour cet acte une motivation aussi complète que la décision d’invalidation du permis de conduire du contrevenant (Cass.crim., 12 mars 1997, JPA 1997, p.277).
Cette solution était raisonnable puisque l’injonction de restitution du permis de conduire intervenait après réception par le contrevenant d’un courrier récapitulatif portant notification d’invalidation de son permis de conduire.
L’usager a été notifié de toutes les infractions commises ayant concourues au solde de points nul avant de recevoir l’injonction préfectorale.
Rappelons que le système du permis à points a été construit sur le concept d’un accompagnement pédagogique et de responsabilisation du contrevenant.
Comment peut-on prétendre atteindre cet objectif si la sanction du retrait de points n’intervient pas suite à une notification régulière ou qu’après plusieurs années ?
Dans un souci de simplification administrative et de meilleure compréhension du dispositif par les usagers, une seule lettre recommandée est désormais adressée aux conducteurs dont le permis a été invalidé.
3. Le sort des lettres RAR « non réclamées »
En pareille situation, lorsque le contrevenant s’abstient, volontairement ou non, de retirer le pli recommandé au bureau de poste dans les 15 jours suivant sa présentation, la jurisprudence considère que la notification est réputée effective.
Cette effectivité relève du refus de l’intéressé de le recevoir (CE 6 février 1983, CHASSAGNES ; Cass.crim., 8 octobre 1985, JPA 1986, p.103 ; Cass.crim., 17 novembre 1986, JPA 1987, p.235.), ou encore du fait qu’il ait communiqué des coordonnées personnelles obsolètes lors de l’établissement du procès verbal (CE 16 avril 1975, FAOTTO ).
En cas de refus d’un contrevenant de se voir notifier la décision administrative, les services de police doivent établir un procès verbal relatant les faits constatés (Circ. NOR INT D9100035C du 18 février 1991).
En cas de poursuites pénales (conduite malgré l’invalidation du permis de conduire), il appartiendra au Ministère Public de prouver que la notification a été exécutée, peu importe sa forme (TC Rennes, 25 avril 1984, JPA 1985, p.15).
Si le nombre de points affectés au permis de conduire est réduit de plein droit lorsqu’est établie la réalité de l’infraction donnant lieu au retrait de points, il résulte de la combinaison de ces mêmes dispositions et de celles de l’article 8 de la loi du 17 juillet 1978 que la décision constatant la perte de points, ne lui est opposable qu’à compter de la date à laquelle cette notification lui est parvenue.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’en cas de non retrait du courrier à la Poste, la date de délivrance par le préposé du service postal de l’avis d’instance prévenant le destinataire de ce que le pli est à sa disposition au bureau de poste est la date de notification de la décision à l’administré (CAA Paris, 16 mars 2006, JPA 2006, p.392 ; CE 2 juillet 2007, requête 303498).
En cas de retrait du courrier à la Poste, la date de notification au contrevenant demeure celle du jour de retrait du pli en poste même si celui-ci a en été avisé par l’avis d’instance préalablement.
4. Le sort des lettres RAR « n’habite pas à l’adresse indiquée » NPAI
Quid de la notification d’un retrait de point ou d’une décision d’invalidation du permis de conduire faite à une ancienne adresse du contrevenant, lorsque ce dernier n’a pas effectué auprès de l’administration les démarches d’information relatives à son changement d’adresse et contribué à laissé ainsi perdurer des informations obsolètes dans le fichier national du permis de conduire ?
D’aucuns pourront s’interroger sur les pratiques de l’administration qui disposant de nombreux fichiers (permis de conduire, carte grise, déclaration fiscale) n’entreprend pas les diligences suffisantes pour s’assurer de l’actualisation des informations dont elle dispose.
Le Conseil d’Etat vient de répondre à cette question préjudicielle dont elle était saisie par le juge administratif de Lille (avis du 18 septembre 2009 – n°327027) en excluant le titulaire du permis de conduire du champs de l’obligation faite et imposée à tout administré comme tout justiciable, de faire connaître à l’administration ou au greffe de la juridiction son changement d’adresse (CE, LAURENT, 18 mars 2005, requête 25040 ; CE 24 octobre 2005 MOULINES, AJDA 2005, 2365).
Ainsi, la Haute Cour constate « qu’aucun principe général du droit ni aucune disposition législative n’obligeant le titulaire d’un permis de conduire à déclarer à l’administration sa nouvelle adresse en cas de changement de domicile, la présentation à une adresse où il ne réside plus du pli notifiant une décision d’annulation de son permis et prise à l’initiative de l’administration ne fait pas courir le délai de recours contentieux ».
En d’autres termes, l’administré n’a pas à faire connaître à l’administration son changement d’adresse, sauf en vertu de l’article R.322-7 du Code de la route (pour le fichier des cartes grises).
Enfin, le Conseil d’État considère que cette dernière obligation pour le titulaire du certificat d’immatriculation d’un véhicule de déclarer à la préfecture son changement de domicile dans le délai d’un mois est sans incidence sur la question relative à l’obligation d’information de l’administration en cas de changement de domicile pour le permis de conduire.
Par Rémy JOSSEAUME
Docteur en Droit
www.droitroutier.fr
Pt Commission Juridique de 40 Millions d’Automobilistes
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