lundi 5 octobre 2009

La présomption de responsabilité du titulaire du certificat d'immatriculation - partie 2

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Article de doctrine publié le lundi 24 mars 2008.
Rédigé par Rémy Josseaume et classé dans le thème Transport.

Les premiers développements de l'auteur ont été publiés dans une première partie disponible sur le lien suivant : la présomption de responsabilité du titulaire du certificat d'immatriculation - partie 1.

IV) Un mécanisme de présomption contraire à la présomption d'innocence ?

Comme le précisent certains chercheurs, s'en prendre systématiquement au titulaire de la carte grise lorsque le conducteur ne peut être identifié relève "d'une dérive sécuritaire bien préoccupante" [47].

Le mécanisme juridique du "propriétaire payeur" laisse perplexe quant à sa conformité avec le principe de la présomption d'innocence.

Notre droit pénal connaît lui-même des mécanismes de présomption de culpabilité où il appartient à la personne accusée de rapporter la preuve de son innocence.

Ces diverses présomptions sont disséminées en droit positif.

C'est parfois l'élément moral ou matériel qui est présumé.

Ainsi toute personne qui ne peut justifier des ressources correspondant à son train de vie est présumée trafiquant de stupéfiants, si elle est en relations habituelles avec des trafiquants ou des consommateurs [48]. Une personne est présumée proxénète, si elle vit ou est en relations habituelles avec une ou plusieurs prostituées [49].

De la même manière est présumée receleur, la personne qui a autorité sur un mineur qui vit avec elle et se livre habituellement à des crimes ou des délits contre les biens d'autrui et qui ne peut justifier des ressources correspondant à son train de vie [50].

Il s'agit toujours de présomptions simples.

La personne poursuivie peut échapper à la condamnation renversant ainsi les apparences sur lesquelles repose la présomption légale en justifiant par exemple l'origine licite de ses ressources.

L'apparence serait trompeuse car les dispositions légales visent une présomption de responsabilité "pécuniaire" pour ne pas dire précisément pénale.

Ainsi en excluant toute référence à la sphère pénale, le législateur a voulu au mieux écarter le principe de la responsabilité pécuniaire des principes généraux du droit parmi lesquels figurent celui de la présomption d'innocence.

Mais cet artifice linguistique ne saurait tromper le contrevenant justiciable averti.

Les infractions au stationnement ne sont pénalement réprimées que par des peines d'amende.

La sanction pécuniaire par le paiement de l'amende et pénale se confondent.

La responsabilité pénale et pécuniaire sont synonymes et recouvrent la même signification en visant l'amende pour les contraventions au Code de la route [51].

Telle que présentée initialement, la loi adoptée en 1972 instituant le principe pour le stationnement payant visait une responsabilité "pénale" du titulaire de la carte grise avant d'être amendée pour y voir substituer le terme "pécuniairement" [52].

La doctrine dans son ensemble n'a pas manqué de fustiger l'entorse mise en place par le législateur et de reconnaître le subterfuge juridique.

Elle relevait que le titulaire du certificat d'immatriculation était in fine poursuivi devant une juridiction pénale en cas de non délation de l'auteur véritable de l'infraction.

La décision de condamnation à intervenir était exécutée selon les règles communes d'exécution des sentences pénales.

Le texte précise qu'il s'agit d'une "amende encourue pour les contraventions", qui est, au titre de l'article L.111-1 du Code pénal, l'une des classifications des infractions pénales.

Qui doutera que la sanction encourue, soit elle uniquement pécuniaire, n'a pas le caractère d'une mesure punitive ?

Saisies de cette difficulté, les juridictions françaises puis la Cour Européenne ont reconnu la validité du dispositif instaurant le principe de responsabilité pécuniaire du titulaire de la carte grise.

La Cour de Cassation jugea que l'article 6 paragraphe 2 de la Convention européenne des Droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas pour objet de limiter les modes de preuve prévues par la loi interne mais d'exiger que la culpabilité soit légalement établie.

Selon la Cour, "cette disposition ne met pas obstacle aux présomptions de fait ou de droit instituées en matière pénale, dès lors que lesdites présomptions, comme celles de l'article L. 121-1 du Code de la route, réservent la possibilité d'une preuve contraire, laissent entiers les droits de la défense" [53].

N'étant pas automatique, elle peut être écartée lorsque l'auteur réel de l'infraction est identifié [54].

La position arrêtée par la Cour de cassation est pourtant critiquable.

En effet, la loi a bel et bien limitativement énuméré les modalités de la preuve contraire en matière de procès verbaux.

Précisément pour les infractions au stationnement, il s'agit des seuls cas limitativement énumérés : à savoir la force majeure et l'identification de l'auteur véritable de l'infraction [55].

Peut-on accueillir l'argumentation de la Cour et considérer l'effectivité de la possibilité offerte au titulaire de la carte grise d'apporter la preuve contraire à la présomption de responsabilité pécuniaire dès lors que la preuve de l'innocence est strictement limitée ?

Pire encore, l'artifice juridique qui limite l'étendue de la preuve contraire et qui incite à la pratique de la délation consiste dans les faits à substituer à l'exonération du titulaire de la carte grise la culpabilité désignée de l'auteur réel de l'infraction.

La Cour européenne des Droits de l'Homme à l'occasion de l'étude de la conformité de l'article 392 § 1 du Code des Douanes à la Convention Européenne des Droits de l'Homme valida le principe de l'exception à la présomption d'innocence [56].

Dans cette affaire, le Gouvernement français soutenait que l'article 392 § 1 du Code des Douanes édictait une présomption non de culpabilité, mais de "responsabilité" [57].

Distinction "essentielle" selon lui car "les personnes désignées ne commettent pas l'infraction elles-mêmes", mais en "répondent (...) devant les tribunaux".

L'article 392 § 1 n'instaurerait pas "une présomption de culpabilité irréfragable", mais "une présomption de fait et de responsabilité, réfragable, "strictement délimitée par la jurisprudence" et justifiée "par la nature même de la matière"; il impliquerait, sans plus, "un partage" et non "un renversement" de l'onus probandi.

La Cour estime que tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit.

La Convention n'y met évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige, sans pour autant le délimiter, "les Etats contractants à ne pas dépasser a cet égard un certain seuil".

L'article 6-2 ne se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives.

Il commande aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense.

Concernant la Loi GAYSSOT, la question liminaire de la conformité du principe du "propriétaire payeur" au respect de la présomption d'innocence allait une nouvelle fois faire discussion.

Lors des débats parlementaires, les défenseurs du texte arguaient que la responsabilité édictée au détriment du propriétaire payeur était limitée au seul paiement de l'amende, sans qu'il y ait aucune sanction pénale.

Selon eux la responsabilité pénale pour fait d'autrui était exclue du dispositif.

C'est ainsi que volontairement le Code de la route fait référence à la responsabilité "pécuniaire" du propriétaire du véhicule.

Pour éviter cependant toute confusion, le Sénat, à l'initiative de sa Commission des Lois, ajouta que la personne responsable pécuniairement n'était pas responsable pénalement de l'infraction.

L'infraction ne donnerait lieu à aucune inscription au casier judiciaire et ne pourrait pas être prise ne compte pour l'application des règles sur la récidive.

En outre, elle n'entraînerait pas de retrait de points.

Le dispositif de l'article 4 de la loi instaurant le mécanisme du "propriétaire payeur" pourrait être critiqué parce qu'il porterait atteinte au principe de la personnalité des peines.

Ce principe a néanmoins subi de nombreux aménagements qui permettent que la peine infligée à autrui soit exécutée par un tiers à l'infraction, sans que ce dernier soit condamné pour l'infraction d'autrui.

De tels aménagements existent notamment dans le droit du travail et le droit des transports routiers.

Dans une décision n° 76-70 du 2 décembre 1976 [58], le Conseil Constitutionnel estimé que l'article L. 263-2-1 du Code du travail, qui permet de mettre à la charge de l'employeur l'amende à laquelle est condamnée l'employé, ne portait atteinte à aucune disposition constitutionnelle ni à aucun principe constitutionnel applicable en matière pénale.

Néanmoins, il convient de souligner que, contrairement aux dispositions du Code de la route, la responsabilité pécuniaire de l'employeur n'est pas automatique.

Elle demeure dans son prononcé une faculté donnée au juge compte tenu des circonstances de fait et des conditions de travail de l'intéressé.

C'est dans cet esprit critique que le député GOUZES présentait un amendement afin que la responsabilité pécuniaire du propriétaire ne soit pas automatique mais soit laissée à l'appréciation du tribunal.

L'amendement fut rejeté aux motifs qu'il mettait en cause tout le dispositif des amendes forfaitaires et risquait de provoquer l'encombrement des tribunaux.

L'article 4 de la Loi GAYSSOT étendant le principe de la responsabilité pécuniaire à de nouvelles infractions au Code de la route fut contesté par les députés de l'opposition devant le Conseil Constitutionnel.

Les députés requérants estimaient que le mécanisme de responsabilité d'office du conducteur s'apparentait à une responsabilité d'ordre pénal.

Ils soutenaient que l'article incriminé méconnaissait les règles et principes constitutionnels.

Leur position était étayée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et appuyée sur le principe que le prononcé d'une sanction ne concernent "pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition" [59].

Ils contestèrent le principe de la peine automatique affligée au titulaire de la carte grise sans considération de la nature et des circonstances de la commission de l'infraction et en méconnaissance de l'interdiction d'automaticité des peines [60].

Ce caractère automatique de la sanction était en contradiction absolue avec le principe de nécessité des peines posé à l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen [61].

Enfin, selon ces députés, la disposition législative établissant une responsabilité automatique du conducteur méconnaissait les principes de personnalité des peines et de responsabilité personnelles, issus des articles L.123-24 et L.121-21 du Code pénal rappelé par le Conseil Constitutionnel [62], et celui posé à l'article 6 paragraphe 2 de la Convention Européenne des droits de l'homme [63].

Le Gouvernement considérait que l'article 4 de la loi était conforme à la Constitution tout en reconnaissant qu'il n'était pas contestable que la disposition critiquée, indépendamment de ses finalités préventives et dissuasives, présentait un aspect punitif.

Il n'était donc pas douteux que sa conformité à la Constitution soit vérifiée au regard des règles qui en découlent en matière répressive, et en particulier des principes déduits de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.

De manière générale, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne, le Gouvernement précisa que l'existence d'une présomption légale n'est, par elle-même, nullement incompatible avec ce principe.

Au regard de ces critères, la présomption prévue par l'article L. 121-2 n'était selon sa ligne de défense nullement contraire à la présomption d'innocence, dès lors qu'elle est enfermée dans des limites raisonnables.

Apprécié en ayant en vue l'objectif poursuivi, à savoir accroître l'efficacité de la sécurité routière, ce caractère raisonnable est marqué à la fois par les conditions de mise en oeuvre de cette présomption et par les possibilités ouvertes pour la renverser.

Dans sa décision n° 99-411 du 16 juin 1999 [64], le Conseil Constitutionnel déclara conforme à la Constitution le principe attaqué.

Il rappelle qu'il résulte en principe que "le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive mais que, toutefois, à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité".

Le Conseil Constitutionnel indique "qu'en l'absence d'événement de force majeure tel que le vol de véhicule, le refus du titulaire du certificat d'immatriculation d'admettre sa responsabilité personnelle dans la commission des faits, s'il en est l'auteur, ou, dans le cas contraire, son refus ou son incapacité d'apporter tous éléments justificatifs utiles seraient constitutifs d'une faute personnelle".

Une faute est en réalité toujours reprochée au titulaire du certificat d'immatriculation lorsque celui-ci est déclaré redevable pécuniairement de l'amende.

Celle-ci s'analyserait pour le Conseil Constitutionnel en "un refus de contribuer à la manifestation de la vérité" ou "un défaut de vigilance dans la garde du véhicule".

Le Conseil constitutionnel a toutefois formulé une réserve d'interprétation puisque la personne intéressée doit pouvoir utilement faire valoir ses moyens de défense à tout stade de la procédure; sous cette réserve, le respect des droits de la défense est assuré.

Par Rémy JOSSEAUME, Doctorant en droit
www.droitroutier.fr
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Les premiers développements de l'auteur ont été publiés dans une première partie disponible sur le lien suivant : la présomption de responsabilité du titulaire du certificat d'immatriculation - partie 1.
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47 FONTAINE H. et GOURLET Y. (DERA), Mobilité et accidents, année 1996, Rapport de convention DSCR/INRETS - Janvier 1998. Selon les auteurs, 45 % des véhicules ont deux ou plusieurs conducteurs.

48 Art. 222-39-1 du Code pénal.

49 Art. 225-6 du Code pénal.

50 Art.321-6 du Code pénal.

51 Analyse partagée par F.SAMSON et X.MORIN., L'extension de la présomption de culpabilité de l'article L.21-1 du Code de la route par le Projet de loi n°302, Gaz.Pal., 28 août au 1er septembre 1998 p.21.

52 A la demande d'amendement visant la substitution des deux termes employés, le Garde des Sceaux déclara que ces amendements, de pure forme, n'appellent pas de commentaires, J.O./A.N., 1972, 6331, 1er col.

53 Cass.crim., 16 mars 1990, Dr. Pén. mai 1991, n°145 ; Cass.crim., 17 décembre 1990, Dr. Pén. 1991 ; Cass.crim., 6 novembre 1991, D.1192 somm. 204 ; Cass.crim., 9 avril 1992, Bull.crim.n°155 ; Cass.crim.,11 juin 1992 (neuf arrêts), Bull.crim.231 ; Cass.crim.,11 janvier 1995; Cass.crim.,25 avril 1995, JPA 1995, p.289 ; Tribunal de police, Paris 11 février 1998, D., 1999, IR p. 44 D., 1999 IR p 44 ; CA de Paris, 12 novembre 1998, D.1999, IR 44 ; Cass.crim., 27 octobre 1999, JPA 2000, p.74 ; Cass.crim., 1er février 2000, JPA 2000, p.124, Bull.crim. 2000 n° 51 p. 140.

54 CA Paris 17 mai 1991, JCP, 1991, IV, 403 ; CA Paris, 27 septembre 1991, CABANIS JCP, 1992, IV, 509.

55 La subsistance d'un doute ne suffit pas seule a rapporté la preuve contraire aux mentions du procès verbal de contravention (Cass.crim.,29 novembre 2000, JPA 2001, p.212) ; Cass.crim.16 février 2005, JPA 2005, p.209. De la même manière, l'absence de l'agent verbalisateur convoqué à trois reprises devant la juridiction pour être entendu sur les conditions de la verbalisation, ne constitue pas une preuve contraire au procès verbal (Cass.crim., 12 décembre 2001, JPA 2002, p.120). La Cour de cassation opte pour une définition limitée de l'attestation produite en justice estimant qu'une attestation écrite, ne constitue pas une preuve par écrit ou par témoins, au sens de l'article 537 du Code de procédure pénale, de sorte que la Cour semble exiger un véritable témoignage présenté à la barre ou devant un Officier de police judiciaire sinon ministériel (Cass.crim., 7 février 2001, JPA 2001, p.176 ; Cass.crim 25 avril 2001, JPA 2001, p.272 ; Cass.crim.3 septembre 2003, JPA 2003, p.561).

56 SALABIAKU c/ France, CEDH, 7 octobre 1998, Publications de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, Série A, vol. 141, dans l'espèce, Monsieur SALABAKIU invoquait les paragraphes 1 et 2 de l'article 6 de la Convention ; selon lui, "en mettant a sa charge une présomption de culpabilité, profitant à l'administration des douanes" et "quasiment irréfragable", les juridictions françaises violaient à la fois le droit à un procès équitable et le droit au respect de la présomption d'innocence.

57 On retrouve là le principe du "responsable mais pas coupable".

58 Recueil, p. 39 ; RJC, p. I-41, J.O. du 7 décembre 1976, p. 7052.

59 Cons. Const. 92-307 DC du 25 février 1992, Recueil, p. 48 ; RJC, p. I-493, J.O. du 12 mars 1992, p. 3003.

60 Cons. Const. 97-389 DC du 22 avril 1997, Recueil, p. 358, J.O. du 27 avril 1997, p. 6432.

61 Cons. Const. 98-404 DC du 18 décembre 1998, Recueil, p. 315, J.O. du 27 décembre 1998, p. 19663.

62 Cons. Const. 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, Recueil, p. 15 ; RJC, p. I-91, J.O. du 22 janvier 1981, p. 308.

63 Il dispose que "toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie".

64 Recueil, p. 75, J.O. du 19 juin 1999, p. 9018.

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